Nous ne sommes pas des cailloux,
nous sommes des êtres émotionnels. Cette phrase que j’ai déjà prononcée en
cours de séances résonne… Un caillou roule sur une cuisse ; agile, la main le
rattrape. Le danseur laisse choir la pierre, nous laissant craindre qu’elle va
lui broyer le pied. Corps intact qui continue de bouger. Au sol, debout, et
même suspendu. Il nous entraîne d’un continent à l’autre, bercé de chants
exotiques. Mic-mac. Dernière pièce du festival Constellations. Kubilai Khan
Investigations en action. Vendredi/Dimanche : danse, performance, texte, mouvement,
lumière, obscurité, corps nu ou habillé, différents lieux pour déambuler dans
une ville soudain traversée d’étoiles.
L’année dernière, j’étais déjà
présente. Mais, je ne m’étais pas sentie à l’aise. Programmation trop
élitiste ? Je me sentais exclue d’un environnement que je trouvais replié
dans son quant-à-soi. Entre généralités et jugements, je m’étais moi-même
enfermée, je crois.
2018, je renouvelle l’expérience. Car
tout passe et tout demeure. Texte saisissant. Conférence improbable. Souffle/voix
et corps basculés. Identité entre deux. Dans l’obscurité. Danser ! Brume.
Sons endiablés. Une femme puissante. Et toujours plus de « danse, danse,
danse ». Jusqu’à ce que… Ô ciel ! Un homme stupéfiant surgit en
collant…
Tout passe et tout demeure… En
dire un peu plus. Sur la parole d’Héraclite.
Héraclite l’obscur qui exige des
hommes qu’ils abandonnent leur existence ensommeillée et rêvée pour vivre à la
mesure de la réalité qui les entoure. Tout coule, tout s’écoule, ne reste
jamais pareil. Toutes choses sont en mouvement. Tout se transforme et rien ne
demeure immobile, tout passe et rien ne demeure. Filant la métaphore de l’écoulement :
« tu ne saurais entrer deux fois dans le même fleuve, car la seconde fois,
le fleuve n’est plus le même, ce sont d’autres eaux, et les berges se sont modifiées ».
De même avec le temps qui s’écoule, je ne suis celle que j’étais la veille, mon
corps est emporté dans un mouvement pareil à celui des fleuves. « Tout ce
que tu vois court au rythme du temps, rien de ce que tu vois ne demeure ».
Tout coule. Tout court.
Ce même week-end, dans un autre genre…
un peu de souplesse ;)
Kevin Mayer, décathlonien explique
après son dernier exploit, au-delà de l’esthétique ou de la statistique, que la
piste d’échauffement brûle quand il l’aperçoit. Et d’ajouter, ce qui différencie
les champions des très grands, c’est qu’ils sont les très grands dans la sensation
et non dans la réflexion, ils vivent intensément l’instant présent.
Mouvement. Déambuler. Découvrir. Être
saisie… à condition d’être éveillée. A condition d’être dans l’instant présent…
D’Héraclite à Antonio Machado, une fin toute trouvée pour cet article de
rentrée, pour remercier tous ceux qui sans le savoir me ramène à l’essentiel.
Délicieuse piqûre de rappel…
« Le chemin se fait en
marchant. Et quand tu regardes en arrière, vois le sentier que jamais tu ne
dois à nouveau fouler (…) Il n’y a pas de chemin, rien que des sillages sur la
mer. Tout passe et tout demeure (…) notre affaire est de passer, de passer en
traçant des chemins. Des chemins sur la mer »