mardi 21 février 2017

Libre ou obligé de consulter ? Une question de désir et de demande...

Il existe encore de nombreuses interrogations autour de la préparation mentale. Par exemple :
 
Doit-elle être obligatoire, au même titre que la préparation physique, l’entrainement technique et tactique, laissant croire qu’elle pourrait également éviter à certains athlètes d’arrêter leur pratique sportive pour de mauvaises raisons… Ou bien s’agit-il en, préparation mentale, d’accompagner des personnes volontaires dans cette démarche en les laissant libres de commencer et de poursuivre cette collaboration…
 
Eva Parmentier, préparatrice mentale, a proposé ce sujet lors d’une réunion de co-vision  de notre équipe du D.U. Préparateur mental - Interventions et aide à la performance de l’université de Clermont-Ferrand (l’occasion de partager au sein de notre équipe pluridisciplinaire nos expériences, points de vue, pratiques…).
 
Vous trouverez ci-dessous le contenu de ma participation, témoin d’un point de vue, mais aussi de la façon dont j’ai souhaité aborder cette question.
 
Pour moi, tout commence par le vocabulaire. Je cherche toujours dans le dictionnaire historique de la langue française quelques mots clefs, ici :
 
Volontairement = sans y être forcé, en manifestant son autorité.
Volonté : latin volontas = bonne volonté, bienveillance, zèle, puis volonté exprimée, notamment par testament d’où dispositions, sentiments à l’égard de quelqu’un, vœu, désir. Puis en philosophie, avec un sens abstrait. (Ne parlerait-on pas aujourd’hui de consentement plutôt que de volonté…)                            (Mes études de philo sont très loin, reste peut-être Descartes… la volonté est le pouvoir d’affirmer ou de nier. L’entendement propose les idées, mais la volonté dispose et dit oui ou non)
 
 
Parce qu’il y a désir, je suis allée chercher du côté de la demande…
 
Demande : déverbal, substantif d’action et par métonymie désigne la chose demandée.
Demander : latin demandare = charger quelqu’un de quelque chose d’où exiger, ordonner et à basse époque : faire venir. Exprimer le désir de, émettre la volonté d’avoir ; il est employé absolument avec l’idée de solliciter pour obtenir.
 
En bref : avoir (viendra nécessairement l’être), désir, demande, charge…
 
(Je ne résiste pas à l’envie de citer Pierre Martin, psychanalyste : « Il y a un au-delà du besoin qui se manifeste dans la demande, il y a un en-deçà de la demande, qui la provoque : c’est le manque, le vide ; son expression c’est le désir, sa transcription au niveau du sujet, c’est l’amour. »)
 
Notre groupe a échangé autour de la demande ou de son absence, de la commande, de la prescription… Qui - athlète, parent, entraineur,… - demande quoi, pour qui…
 
Oui, la demande est parfois (ou souvent ?) peu ou pas exprimée : or derrière le refus de la demande se trouve le désir. Désir qui peut aussi s’exprimer dans un détournement de la demande, et même dans un silence. Cela signifie qu’il y a un désir qui ne se traduit pas. Dans ce cas, il peut être intéressant de placer l’individu dans une situation qui peut favoriser la formulation d’une demande. Je serais donc très modérée sur l’idée de l’obligation… Mais plutôt prompte à créer ce contexte favorable à l’expression de la demande, en travaillant notamment sur les représentations que chacun peut avoir de nos champs, qu’ils soient préparation mentale ou psychologie…
 
Créer le contexte pour accueillir une demande dont la forme va varier, en fonction du rapport qu’entretient le sujet avec l’énigme qui l’habite, la perte de maîtrise que cela suppose, la souffrance qu’elle comporte et bien sûr, la figure de l’autre qu’elle implique.
 
Puisque la demande est un exprimé dans un but et dans une fin, et à quelqu’un.
 
Une problématique peut être acceptée et faire l’objet d’une demande ; elle peut être plus montrée que dite, en attente d’être vue et reconnue, en quête d’un « répondant » pour être reconnue. Elle peut être refusée, déniée mais appelant l’empathie de l’autre car adressée comme un appel muet… Enfin, elle peut aussi ne pas avoir pu s’organiser et se formuler.
 
La demande engage, elle met en gage. Et pour les enfants, il est d’autant plus important de savoir qui demande quoi. Car il est plus intéressant alors de s’occuper de celui qui demande vraiment, c’est à celui-là qu’il faudra avoir à faire. Le fameux : c’est celui qui dit qui l’est ! Et bien sûr ne pas oublier celui qui attend la demande : moi, psychologue-préparateur mental ! La première demande c’est la mienne, via cet autre de moi-même qui induit à vouloir, à faire, en faisant croire que ça vient de l’extérieur : se préoccuper de la demande, c’est se déprendre d’une tendance à prendre !
 
Sans doute mon côté "psy" qui reprend le dessus : la demande dans la société vise la satisfaction à venir d’un besoin, pour le psy, ce n’est pas l’outil, l’utile, ce qu’on peut avoir, ce qui peut servir, ce n’est pas AVOIR, c’est ÊTRE qui m’intéresse. (Quand on parle de demande, on évoque toujours la nécessité d’avoir, elle s’adresse à autrui et nous ne prenons pas garde du tout que cette demande d’avoir repose sur quelque chose de plus fondamental qui est un appel à l’être, un appel à poursuivre sa propre existence. Donc attention : demande d’être, fondement de la demande d’avoir, et non le contraire)
 
Je ne réponds pas à une demande au sens de satisfaire, je réponds à une demande au sens où il y a engagement : que celui qui vienne et demande se fende d’une question : « qu’est ce qui se passe donc chez moi* ? » (ou finisse par se fendre, car il peut être long le temps entre désir et demande !)
                         (*Vous apprécierez la formulation très directe de Pierre Martin, encore lui !)
 
Pour formuler une demande, émettre un appel, il faut avoir déjà eu antérieurement l’expérience d’une rencontre qui reconnaît et soulage la souffrance, l’apaise, au moins de manière suffisamment significative. Il faut aussi supporter l’idée de la dépendance dans laquelle la demande place le sujet. La condition pour supporter cette dépendance : qu’elle reste relative, mesurée, limitée.
 
En forme de conclusion, j’ai choisi de citer l’analyste Serge André qui nous donne l’idée de la résistance dans la demande…
 
 « L’être ne demande qu’une chose c’est qu’on lui fiche la paix, soit qu’on ne dérange pas sa souffrance. La psychanalyse réveille. Réveiller, c’est dévoiler la jouissance obscure dont le sujet berce son être et dont il ne veut rien savoir : réveiller, c’est montrer au sujet qu’il ne fait semblant de vouloir savoir que pour mieux entretenir son ignorance. A cet égard, la fonction du psychanalyste est forcément de l’ordre du cauchemar. (…) La croyance est bien sûr une façon de maintenir intouchée un « je n’en veux rien savoir ». Ce à quoi l’on croit, on y tient plus qu’à ce que l’on sait. (…) Qu’est ce que le désir de l’analyste ? C’est le désir d’être la cause du désir – ou au moins d’être à la place de la cause du désir de celui qui parle, c’est-à-dire de l’analysant. »